Société

Les évangéliques à la conquête du monde

Arte diffuse le mardi 4 avril une série documentaire en trois épisodes sur l’évangélisme conservateur dans sa forme la plus conquérante. Intitulé « les évangéliques à la conquête du monde », ce documentaire interpelle et invite à l’introspection.

Aux commandes de cette enquête, nous trouvons le réalisateur français Thomas Johnson et le sociologue des religions Philippe Gonzalez. Il est important de le noter, c’est bien d’une tendance au sein de l’évangélisme dont il est question. Ce documentaire le met bien en évidence par l’intervention de différents acteurs : on ne saurait réduire les évangéliques à une seule de ses formes. Néanmoins, ce qu’il s’y passe est suffisamment inquiétant pour mériter qu’on s’y attarde et qu’on le mette en lumière. Faute de quoi, c’est l’évangélisme et le christianisme même qui sont en danger.

Bref résumé de chaque épisode

La grande croisade

Le premier épisode s’intéresse tout particulièrement à la figure de Billy Graham, qui servira de fil rouge à l’ensemble du documentaire. Grand prédicateur et missionnaire américain, il a parcouru le monde en menant des campagnes d’évangélisation qui ont, notamment en Corée du Sud, profondément marqué le paysage religieux local. Il s’est aussi approché des plus hautes sphères du pouvoir politique américain, à s’en brûler les ailes. Ayant soutenu Richard Nixon, Graham réalise son erreur suite au scandale du Watergate. Il prend alors ses distances avec le monde politique, mais laissant ainsi la place à d’autres prédicateurs, bien plus radicaux que lui.

Les évangéliques au pouvoir

Avec les élections de Donald Trump aux Etats-Unis et de Jair Bolsonaro au Brésil, la droite chrétienne américaine s’est retrouvée sur le devant de la scène médiatique et politique. L’une de ses figures, la pasteure Paula White (conseillère spirituelle de Trump et figure de l’évangile de la prospérité), tient tout sourire face caméra des propos parmi les plus inquiétant des trois épisodes. Il nous est donné de voir tous les mauvais fruits que peuvent donner une perversion de l’Evangile à des fins politiques. Dans cet épisode, on explore les ramifications modernes des connivences entre le monde politique et évangélique américain.

Dieu au-dessus de tout ?

Des trois épisodes, le dernier a certainement été le plus difficile à suivre pour moi. Plus que la question de l’accession d’évangéliques aux pouvoir, il est plutôt question de la manière dont certaines franges politiques d’extrême droite se servent d’une prétendue civilisation judéo-chrétienne dont ils se posent en défenseurs.

Quelle(s) réaction(s) ?

A peine mis en ligne sur le site d’Arte que cette série suscite déjà de nombreuses réactions. J’ai d’abord beaucoup apprécié le billet de Vincent Miéville, Président de la commission synodale de l’Union des Eglises Evangéliques Libres de France. J’ai également écouté avec beaucoup d’intérêt deux émissions de radio. D’abord « Un R d’Actu« , sur Radio R, avec Philippe Gonzalez, et aussi « Hautes Fréquences » de la RTS avec Philippe Gonzalez, Thomas Johnson, et Philippe Henchoz (pasteur évangélique à Genève).

(Mise à jour du 6.4.23) [Deux questions semblent revenir régulièrement dans la discussion : celle des motivations des deux co-réalisateurs; et celle de la comparativement faible présence de l’évangélisme européen. Deux questions légitimes et qui sont également les miennes. Heureusement, elles trouvent des réponse dans l’interview que Philippe Gonzalez a accordée au journal Réformés.]

La Fédération Protestante de France s’est aussi fendue d’un communiqué de presse. Ils y reconnaissent la grande qualité du documentaire, mais regrettent « un parti-pris éditorial qui créé un amalgame choquant entre l’évangélisme américain nationaliste et les évangéliques français », surtout sur la fin du dernier épisode. Il est vrai que j’aurais beaucoup aimé voir un François Clavairoly (Président de ladite FPF jusqu’en juin 2022) dont les interventions dans le premier épisode étaient excellentes, intervenir aussi dans ce dernier volet. Mais il semblerait que son absence ne soit pas à imputer uniquement aux réalisateurs.

Je suis enfin attristé par certaines réactions triomphalistes émanant des milieux réformés. Certes, nous sommes en perte de vitesse (pour pas dire qu’on se casse carrément la figure) alors que les évangéliques semblent mieux tirer leur épingle du jeu. Mais cela ne devrait en aucun cas nourrir en nous un sentiment de supériorité, ni un désir de vengeance. Au contraire, il nous faut aussi entendre les interpellations de ce documentaire. Et je terminerai donc par quelques questions qu’il me semble pertinentes de nous poser en tant que réformés.

Quelques questions aux réformés

Qu’en est-il de notre propre rapport au pouvoir (notamment politique) ? Nous aurions tort d’imaginer que nous sommes des champions de la séparation Eglise-Etat. S’il existe des églises dites « libres » en Suisse romande, c’est précisément parce qu’à une époque nous tenions bien trop à nos liens avec le monde politique et à nos privilèges. Des privilèges qui perdurent encore à ce jour sous diverses formes selon les cantons, parfois sous couvert de tradition.

Le mot « évangélique » est-il devenu toxique ? La plupart des églises réformées de Suisse romande se sont renommées en incluant d’une manière ou d’une autre le mot « évangélique » (Eglise Evangélique Réformée du canton de Vaud, Eglise Réformée Evangélique du canton de Neuchâtel, etc.) Ne laissons pas certains milieux ternir le nom de l’Evangile au point de nous aussi en avoir honte et de ne plus vouloir y être associés !

Ne travestissons-nous pas également l’Evangile, à d’autres fins ? Nous ne sommes peut-être pas assoiffés de pouvoir. Mais il me semble que les milieux réformés, nostalgiques d’une époque où nous étions seuls maîtres à bord et respectés de tous (sic), nous nous retrouvons assoiffés de reconnaissance et d’approbation sociale. Il y a là aussi, je crois, un risque de travestir l’Evangile, et d’en faire un instrument à d’autres fins que celle pour laquelle il nous a été confié : proclamer au monde l’amour de Dieu.


Où et comment regarder ?

La série peut être regardée en direct ou enregistrée lors de sa diffusion sur Arte le mardi 4 avril à 20h55. Elle peut également être vue directement sur le site de la chaîne, jusqu’au 9 juin 2023.

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Pasteur dans l'EPG, je partage ici diverses réflexions, prédications et expériences, en espérant créer la discussion afin que nous puissions nous enrichir mutuellement.

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