#PrayForParis, entre gêne et excès de zèle
Le réveil fut difficile en ce samedi 14 novembre dernier. Je m’étais couché tôt la veille, et je n’ai appris que le lendemain matin les événements de la veille survenus à Paris, autant vous dire que la chute du lit fut rude. #PrayForParis s’est rapidement imposé sur mon téléphone comme le cri de solidarité d’internet. En janvier beaucoup disaient #JeSuisCharlie, en novembre un bien plus grand nombre proclamait #PrayForParis, plus de 7 millions de messages sur Twitter au moment d’écrire cet article, la quasi totalité dans les 24 heures qui ont suivi les attentats. Il m’a tout de suite interpellé ce hashtag, cet appel à la prière quasi unanime d’internet. Je dis bien quasi unanime, car il n’a pas manqué de susciter diverses réactions sur la toile, de la gêne teintée d’indifférence à un enthousiasme excessif en passant par de l’agacement. Beaucoup ont écrit ou parlé ces derniers jours à ce propos, parfois de manière très juste et pertinente, parfois de manière plus déplacée, se prenant les pieds dans ce que je vais attribuer à la maladresse qui accompagne souvent l’empressement.
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Gênante, la prière ?
Les grands médias semblent être ceux à avoir eu le plus de retenue autour de ce hashtag qui a déferlé à toute vitesse sur les réseaux sociaux. Ils avaient été prolixes autour du #JeSuisCharlie, ils sont discrets autour de #PrayForParis. Certes, en tant que média il faut faire des choix entre ce que l’on couvre et ce que l’on laisse de côté, et il y avait certainement des sujets bien plus importants à traiter que celui-ci. Mais certains se sont tout de même penchés sur la manière dont les réseaux sociaux ont réagis aux événements, notamment au bel élan de solidarité et d’entraide qui se sont développés avec #PorteOuverte. Etrangement, il a très peu été question de cet appel à la prière, éventuellement de manière très discrète, un petit chuchotement glissé au fil des lignes pour évoquer un cri du coeur qui a résonné aux quatre coins de la planète. Pourquoi tant de discrétion ? Serait-il gênant de dire que la première réaction sur les réseaux sociaux fut celle de la prière ? Ce que ce hashtag nous rappel c’est que face à l’horreur, face à la barbarie et la souffrance, il y a toujours un refuge qui est celui de la prière.
Déplacée, la prière ?
Ils ont été plusieurs à demander, dans les journaux ou sur les réseaux sociaux, à ne pas prier pour Paris. Il y a d’abord eu Joann Sfar, dessinateur à Charlie Hebdo qui a publié ceci:
Friends for the whole world, thank you for #PrayForParis, but we don’t need more religion. Our faith goes to music ! Kisses ! Life ! Champagne and joy ! #Paris is about life.
Et d’autres se sont joints à son appel. Un contributeur de Libération écrit de son côté que « les bigots de toutes sortes tentent de peser sur les choix de société du pays, mais la grandeur de la France est d’y résister tant qu’elle peut. Et quand elle y cède, cela me rend positivement furieux. » Une jeune étudiante catholique a publié sur son blog une belle réponse à « Libé ». Dans le Huffington Post US Erika Meister a écrit dans un article qui a depuis été retiré : « I will not pray for Paris. Instead, I will call for the elimination of all world religions. (…) They and their often zombie-like followers are the origins of so much of the unnecessary pain, deaths and suffering plaguing our world today ».
Ceux-ci n’ont pas compris un point essentiel que toutes celles et ceux qui ont tweeté #PrayForParis n’ont pas eu de peine à saisir: Le Dieu au nom duquel les attentats sont commis, quels qu’ils soient, n’est pas le vrai Dieu. Nous avons ici affaire au laïcisme à la française, excessif, et qui une fois de plus se trompe de combat, et à force de mauvais syllogismes voit un ennemi là où il y a un allié.
Une chaîne de prière mondiale ?
Si les deux premières réactions étaient plutôt mitigées, il y en a une qui au contraire est des plus enthousiaste. Elle provient essentiellement de milieux évangéliques, comme le site InfoChrétienne qui se réjouit de voir autant de gens proclamer leur foi sur les réseaux sociaux et s’unir dans la prière. Vraiment ? Beaucoup d’amis ou de connaissances ont employés ce hashtag, mais tous ne sont pas particulièrement croyants. Je ne pense pas que l’on puisse trouver une prière derrière chaque mention #PrayForParis, et vouloir le faire revient est à mon sens une trop maladroite simplification de la diversité de sentiments, des différentes significations que chacun aura attribuées au mot « prière », et des différentes religions également qui ont cherché à s’exprimer dans ces trois mots. On y retrouvera tout de même le même sentiment d’impuissance, le même besoin de dire sa solidarité, la même envie d’aider d’une manière ou d’une autre. La prière permet d’amener un changement là où nous sommes impuissants, d’être unis et solidaires peu importe la distance, et est une immense puissance pour aider à combattre le mal, tout en étant immédiatement disponible à tous.
A lire sur la toile :
– Pauline Croquet, Morgane Tual et William Audureau, « Attaques à Paris : #PorteOuverte, #RechercheParis, #PrayForParis, nuit de solidarité en ligne », Le Monde, http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2015/11/14/porteouverte-pour-se-mettre-a-l-abri-des-fusillades-a-paris-sur-les-reseaux-sociaux_4809516_1653578.html#pHZVQwRhu3hpgx1w.99, 14.11.2015, (consulté le 18.11.2015)
– Rachel Dicker, « Charlie Hebdo Cartoonist Doesn’t Want Us To #PrayForParis », US News, http://www.usnews.com/news/articles/2015/11/16/charlie-hebdo-cartoonist-asks-people-not-to-use-prayforparis-hashtag, 16.11.2015, (consulté le 18.11.2015)
– Isabelle Goep, « Le #PrayForParis, partagé 6,7 millions de fois, agace… », Journal Chrétien, http://journalchretien.net/2015/11/16/actualite_chretienne/le-prayforparis-partage-67-millions-de-fois-agace-25389.html, 16.11.2015, (consulté le 18.11.2015)
– H.L., « #PrayForParis : Un extraordinaire élan de prière international sur Twitter », Info Chrétienne, http://www.infochretienne.com/le-hashtag-prayforparis-plus-partage-que-jesuischarlie/, 15.11.2015, (consulté le 18.11.2015)
– Luc Levaillant, « C’est gentil, mais ne vous sentez pas obligé de prier pour Paris », Libération, http://www.liberation.fr/france/2015/11/17/c-est-gentil-mais-ne-vous-sentez-pas-oblige-de-prier-pour-paris_1414051, 17.11.2015, (consulté le 18.11.2015)
– Erika Meister, « Why I Won’t #prayforparis », Huffington Post, http://www.huffingtonpost.com/erika-a-meister/why-i-wont-prayforparis_b_8579676.html, 18.11.2015, (consulté le 18.11.2015). article retiré du site le même jour
– Misstrott, « Baisez, buvez, moi je prie (aussi). », [Blog personnel], https://misstrott.wordpress.com/2015/11/18/baisez-buvez-moi-je-prie/, 18.11.2015, (consulté le 19.11.2015)
– Lucie Ranfaut, « #PrayForParis: après les attentats à Paris, l’émotion et la solidarité sur les réseaux sociaux », Le Figaro, http://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/2015/11/14/32001-20151114ARTFIG00015-prayforparis-portesouvertes-apres-les-fusillades-a-paris-la-solidarite-des-internautes.php, 14.11.2015, (consulté le 18.11.2015)
– Grégory Roth, « »Ne vous sentez pas obligés de prier pour Paris’’ », Cath.ch, https://www.cath.ch/newsf/ne-sentez-obliges-de-prier-paris/, 19.11.2015, (consulté le 20.11.2015)