L’oecuménisme et les pizzas
Une histoire de pizza
C’est l’histoire d’une grande fratrie. Il y a fort longtemps, tous les dimanches, tous se réunissaient pour partager une immense pizza. Mais un jour, une dispute ayant éclaté autour de cette pizza, ils se séparèrent en différents groupes. Dès lors, chaque dimanche, chaque groupe mangeait sa propre pizza, sur laquelle il avait mis ce que lui aimait, et regardait avec une certaine distance et méfiance ce que mangeaient les autres. Parfois, on se permettait même un commentaire sur l’étrange habitude de certains frères d’y mettre de l’ananas. « Quelle hérésie ! »
Après quelque temps, repensant à l’époque où tous partageaient une seule et même pizza, certains souhaitèrent essayer de se réunir à nouveau autour d’une seule table. Chaque groupe envoya donc l’un des leurs comme représentant. Mais tous envoyèrent l’un des plus jeunes, qui n’avait qu’une connaissance limitée de l’histoire de sa propre pizza, et qui n’était pas non plus le plus convaincu ni le plus téméraire. La semaine suivante, lorsque tous se réunirent pour partager le repas, ils furent surpris de découvrir devant eux une immense pizza Margarita. Quelle déception ! En effet, en cherchant à vouloir faire plaisir à tout le monde, ils en étaient venus à ôter toute garniture, et il ne restait plus que la base. La semaine d’après, chacun était donc de retour dans son coin, à déguster une pizza richement garnie selon son propre goût.
Ils réalisèrent alors que pour que cela fonctionne, ils devaient envoyer comme émissaire ceux parmi eux qui connaissaient suffisamment bien l’histoire de leur pizza, les raisons derrières les choix d’assaisonnement afin de pouvoir l’expliquer aux autres, mais aussi qui étaient suffisamment téméraires pour se risquer à oser leurs étranges habitudes alimentaires. Lorsque tous se réunirent la semaine suivante, ils découvrirent avec stupéfaction une immense pizza, abondamment garnie. Par endroits, certains ingrédients étaient plus ou moins présents, permettant par exemple à ceux qui ne supportent vraiment pas l’ananas d’y échapper. Après avoir goûté à cette pizza-ci, personne n’avait plus envie de retourner à leur pizza d’avant qui leur paraissait soudainement bien fade. C’est ainsi que toute la fratrie put à nouveau se retrouver pour vivre les repas ensemble.
Et l’oecuménisme dans tout ça ?
Lors que nous faisons de l’oecuménisme, demandons-nous ce que nous cherchons à faire. Est-ce que l’on cherche à trouver le plus petit dénominateur commun, en étant prêts à sacrifier nos spécificités afin de ne pas déranger l’autre (ou par peur d’être soi-même dérangé), ou sommes-nous prêts non seulement à défendre nos richesses, mais également à entrer dans la richesse de l’autre et se laisser surprendre ? Comme l’a dit le Pape François lors d’une visite à une église évangélique, la diversité présente dans l’Eglise est une oeuvre de l’Esprit, mais l’Esprit fait également l’unité. Il n’y a pas qu’un seul oecuménisme, mais une pluralité d’œcuménismes. L’un conduit à un appauvrissement de l’Eglise, avec pour effet de nous renvoyer dans nos « clans » où nous trouvons plus de richesse et de « matière nourrissante ». L’autre au contraire conduit à un enrichissement mutuel, avec pour effet de nous faire découvrir d’autres saveurs parfois inconnues. Cette seconde posture par contre, est bien plus contraignante et bien moins rassurante, car nous devons aussi être prêts à reconnaître que peut-être l’ananas n’a pas sa place sur une pizza.
Certes, ce n’est pas avec un coup de baguette magique que nous allons résoudre la question de l’unité de l’Eglise. Mais ce dont je suis convaincu, c’est que ce n’est pas en cherchant la plus petit dénominateur commun que nous y arriverons. Il s’agit plutôt d’oser se mettre en danger, oser se remettre en question, et oser pleinement « visiter le monde de l’autre ».
A lire…
Peter J. Leithart, The End of Protestantism. Pursuing Unity in a Fragmented Church, Grand Rapids, Brazos Press, 2016. |