Eglise

Que chantons-nous vraiment en Eglise ?

L’une des contraintes les plus pénibles – si ce n’est LA plus pénible de toutes – est l’interdiction du chant d’assemblée. Certains cantons ont même interdit pendant un temps les solistes durant les cultes. Et si la plupart des Eglises de Suisse peuvent à nouveau donner de la voix, à Genève il va nous falloir patienter encore un peu. L’occasion peut-être de jeter un regard en arrière, sur ce qui a été vécu, avant de se (re)lancer.

A Meyrin, après avoir testé sans grande conviction le fredonnement bouche fermée sur la mélodie jouée à l’orgue, nous avons opté pour la proclamation sur la mélodie. Je m’explique. L’organiste joue le chant comme si de rien n’était. Pendant ce temps, l’assemblée récite les paroles, en commençant chaque strophe sur la première note de celle-ci. Il ne s’agit pas de scander de manière monotone les paroles comme on a pu le faire en cours de musique (éééveiiiiiilleee toi moooon ââââââmeeeeuh) mais bien de les proclamer, avec du ton si possible, d’une seule traite, puis d’attendre la fin de la strophe pour entonner la suivante (Eveille-toi mon âme !). Petit exemple audio avec le refrain du cantique « A l’Agneau sur son trône » :

Cette manière de faire convient à certains et déplaît fortement à d’autres. Parmi ceux à qui cela déplaît, il y a bien entendu ceux qui n’aiment pas ne pas chanter, mais aussi ceux qui se sont soudainement trouvés mal à l’aise avec des paroles qu’ils avaient jusqu’ici chantées sans ciller. C’est une chose de chanter, c’en est une autre de proclamer. Et bien souvent, nous chantons des classiques de nos liturgies sans prendre conscience de ce que nous chantons[foot]Remarque aussi valable pour le Notre Père, qu’il soit chanté ou prié[/foot].

Petit florilège

A l’Agneau sur son trône

A l’Agneau sur son trône,
Apportons la couronne !
Il l’a conquise sur la croix,
Il est le Roi des rois !

Eveille-toi, mon âme,
Bénis, adore, acclame,
Avec tous les anges du ciel,
Jésus, Emmanuel !

A l’Agneau sur son trône, Ruben Saillens

Un chant certes un peu cryptique (après tout, il reprend des passages de l’Apocalypse), mais qui met magnifiquement bien en lumière ce Grand Renversement[foot]Expression empruntée à l’excellent ouvrage « Hope in Times of Fear » de Timothy Keller[/foot]qu’est la Croix. Ce qui semble être une défaite est une victoire, le faible est couronné, dans l’adoration nous sommes rejoints par les anges du ciel.

Voici l’annonce du Salut

En vain l’on cherche à mériter
La grâce qui pardonne. 
La foi peut seule en hériter,
Et non les œuvres bonnes. 
Mais Dieu permet que, par l’Esprit,
De notre cœur, portant ses fruits,
L’amour du Christ rayonne. 

Voici l’annonce du Salut, Edmond Pidoux, 1976

Un petit condensé de théologie réformée. En quelques vers, nous redisons notre incapacité à obtenir ce Salut par nos propres forces. Qu’il n’est accessible que par le moyen de la foi. Et que la conséquence de ce Salut donné par grâce se manifeste par le fruit de l’Esprit (a relever ici tout de même que Ga 5:22 mentionne le fruit de l’Esprit, au singulier). A quoi bon prêcher pendant 15 ou 20 minutes (voire plus!) quand l’essentiel est dit en 7 vers !

C’est mon joyeux service

Qu’un feu nouveau s’allume
Par ton amour en moi,
Et dans mon cœur consume
Ce qui n’est pas à toi. 

C’est mon joyeux service, Théodore Monod, 1874

Dans ces paroles, nous trouvons un puissant appel pour que le feu (de l’Esprit) s’allume en nos coeurs. Dit comme cela, on croirait presque entendre un chant moderne de Jesus Culture. Comme quoi, l’invention de la guitare électrique n’a peut-être pas changé tant de choses que cela dans le chant d’Eglise.

Bénissons Dieu, notre Roi

Bénissons Dieu, notre roi, célébrons ses louanges, 
Car il demeure à jamais quand tout passe et tout change. 
Il nous entend :
Adressons-lui notre chant,
Unis aux chœurs de ses anges !

Bénissons Dieu, notre Roi, Jules Vincent, 1924

Quel bien cela peut faire, je trouve, de pouvoir chanter proclamer que Dieu « demeure à jamais quand tout passe et tout change » lorsque nous sommes au coeur d’une pandémie, où tout change autour de nous, où nous perdons nos repères, où nous perdons des proches ! Nous rejoignons ici le cri de Job :  » Le SEIGNEUR a donné, le SEIGNEUR a ôté ; que le nom du SEIGNEUR soit béni ! » (Job 1:21), repris aussi dans le chant évangélique « Béni soit ton nom« .

Nuit lumineuse

Nuit mémorable, dans une étable
Pâtres et mages, pauvres et sages
Sont là qui prient. Alléluia !
Plein de tendresse, plein d’allégresse,
Peuple fidèle, quand Dieu t’appelle,
Jubile et crie : Alléluia !

Nuit lumineuse, Mia Denéréaz, 1970

Si ça, c’est pas un classique, je ne m’appelle plus Philippe ! C’est aussi un chant qui illustre si bien le décalage qu’il y a parfois (souvent ?) entre le contenu de nos chants et nos manières de les chanter. La mélodie de celui-ci n’aide pas, puisque les Alléluia! sont chantés sur une mélodie descendante qui ne véhicule pas tellement la notion de jubilation et de cri que les paroles cherchent à transmettre. Lorsque ce chant est proclamé, ces incohérences s’en retrouvent encore plus marquées et elles nous invitent alors à repenser nos manières d’habiter ces chants.

Prendre la mesure de nos chants

J’en suis convaincu, le chant en Eglise contribue à forger la théologie de l’assemblée et à nourrir notre foi. Peut-être de manière parfois inconsciente. Cette expérience a révélé deux choses importantes dont je souhaite tenir compte dès qu’il nous sera à nouveau possible de chanter.

Premièrement, choisir avec soin. J’ai toujours fait attention aux paroles des chants que je choisissais pour le culte. Mais il est aussi vrai que je retombe souvent sur les mêmes cantiques, ceux que je connais et apprécie, et que je sais sont connus par l’assemblée. Je souhaite prendre plus de temps, aller à la découverte d’autres cantiques, peut-être moins connus, mais comportant des paroles particulièrement fortes et porteuses de sens. De manière générale, il nous faut faire particulièrement attention à ce que nous introduisons comme chants dans le cadre du culte. La conséquence de cela, c’est que plus que jamais, je me trouve mal à l’aise – et même fermement opposé – à l’introduction de chants profanes dans le cadre du culte. Si la profondeur et justesse théologique des cantiques doit être un soucis constant, leur absence doit d’autant plus nous interpeller.

Deuxièmement, valoriser ces chants. Il est tellement facile de chanter sans se rendre compte de ce que nous chantons, que je réalise l’importance de valoriser ces paroles. Dans certaines églises évangéliques, il est courant que la personne menant la louange dise ou prie les paroles du chant juste avant ou juste après celui-ci. Si la pratique a pu me sembler un peu futile par le passé, je l’apprécie autrement aujourd’hui. Je ne suis pas en train de dire que c’est une pratique que je vais reprendre telle quelle. Mais je vais certainement chercher à reprendre les paroles de ces chants dans un bout de prière ou dans la prédication elle-même.

Et vous, quelles sont vos paroles de chants préférées ? Ou celles qui vous dérangent le plus ?

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Pasteur dans l'EPG, je partage ici diverses réflexions, prédications et expériences, en espérant créer la discussion afin que nous puissions nous enrichir mutuellement.

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